Retour vers la solidarité
Les annonces gouvernementales des derniers jours étaient certes indispensables au vu de la situation sanitaire qui ne cesse de se dégrader. Mais quel cafouillage ! Les retours de nos délégations dans les hôpitaux ne laissent aucune place aux délires complotistes sur l’inexistence ou la dangerosité exagérée du virus. Oui, la situation est bien pire que celle de la première vague du printemps. Oui, il faut absolument, rapidement et durablement stopper sa propagation et soulager les unités de soins. Tout le monde doit participer y compris le grand patronat et les actionnaires qui jusqu’ici font comme si de rien n’était en mode « business as usual ».
Les organisations syndicales, elles, ont pris largement leurs responsabilités
Comme syndicalistes, nous avons et continuons à jouer un rôle important dans ces mesures. Nous le faisons de manière responsable. Depuis le début de la crise pandémique l’ensemble des services aux affilié·es sont sur le pont. Si c’est relativement connu pour le service du chômage qui fait face à un afflux de dossiers et à une complexification de leur gestion due aux nombreux changements depuis mars, l’importance des autres services doit aussi être soulignée. Ne citons que le service juridique de première ligne qui, outre les demandes habituelles, est également confronté à une hausse très importante des demandes liées aux mesures dans les entreprises et à leur non-respect beaucoup trop régulier. Car si tout le monde à le mot d’ « Union Nationale » à la bouche, force est de constater que celle-ci, comme à chaque fois que ce concept est utilisé, permet surtout de tenter de gommer les inégalités et la conflictualité inhérentes au système capitaliste.
Comme syndicalistes, nous avons et continuons à prendre nos responsabilités envers nos affilié·es, envers les travailleuses et travailleurs. Tout en conservant nos libertés démocratiques, notamment celle de manifester. Sur le terrain, nos délégué·es appuyé·es par les permanent·es ne cessent de se battre pour le respect des règles sanitaires, pour protéger la santé des collègues, essentiellement à travers le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) dont le rôle n’est pas suffisamment mis en lumière et devrait être renforcé, tant dans ses compétences que par sa présence dans des entreprises de moins de 50 travailleuses et travailleurs. Le plus souvent sans en faire les gros titres des médias, parfois en menant des actions ou en communiquant sur les difficultés rencontrées. A ce niveau le cas du commerce alimentaire est emblématique d’une situation générale. Déjà en mars, ce sont les actions syndicales dans différentes enseignes qui ont forcé les directions de groupes, croulant pourtant sous les dividendes, à prendre des mesures pour sécuriser leurs employé·es. Et à nouveau ces derniers jours, il a fallu des grèves dans plusieurs magasins Colruyt et la menace d’une extension du mouvement à d’autres enseignes pour que les directions bougent et semblent remettre des normes plus strictes. Et l’on ne peut ici que déplorer l’attitude de la fédération patronale Comeos d’avoir bloqué toutes mesures unifiées via un accord sectoriel ! Où est à ce niveau la fameuse Union Nationale ? Ah oui, elle est dans le fait de dire aux travailleuses et travailleurs : « contentez-vous des mesures déjà prises, soyez contents de ne pas être en chômage économique comme dans d’autres secteurs… » Mais, comme par hasard, elle n’est pas : « vous avez raison, votre sécurité prime sur les bénéfices, nous allons prendre des mesures quitte à perdre un peu de notre marge bénéficiaire et à verser moins de dividendes à nos actionnaires » !
Pour une réelle solidarité et non de la charité ou de la philanthropie
Il est temps que cesse le discours rejetant la faute de la propagation du virus sur les seuls individus qui seraient contaminés uniquement dans la sphère privée par un virus qui ne circule et ne s’attaque qu’au domicile quand on est en famille. Un bel exemple est celui du télétravail. Outre qu’il est plus qu’interpellant que l’on renvoie les personnes d’un lieu soi-disant sécurisé (le travail) vers le lieu où le virus se transmettrait le plus (le domicile) le télétravail appliqué aujourd’hui se fait en dehors de tout contrôle syndical et des règles protégeant les travailleuses et travailleurs (indemnités, mises à disposition du matériel…)… rejetant la majorité de la charge sur l’individu. Et nous n’aborderons pas ici toutes les questions mises de plus en plus en évidence autour des risques psycho-sociaux liés à l’isolement. Et là où le télétravail n’est pas possible, soit dans de nombreuses professions essentielles, le contrôle sur ce qui se passe sur les lieux de travail doit être renforcé avec de réelles sanctions à la clé. Et il faut que cesse la pression sur les travailleuses et travailleurs sous certificat médical et le non-respect du secret médical à ce sujet. Faudra-t-il le déclenchement de grèves massives dans les secteurs non essentiel, voire d’une grève générale, pour que les employeurs comprennent la gravité de la situation et pour protéger la vie des travailleuses et travailleurs ?
Mais au-delà c’est le rôle de l’état qui doit être remis au cœur du débat
Les soins de santé n’ont pas besoin d’applaudissements ou de ministres versant de l’argent public lors de grandes opérations médiatiques charitables. Ils ont besoin d’un réel financement et d’une revalorisation des professions qui s’y exercent. Une revalorisation qui n’est pas que salariale. Oui les économies, privatisations et autres « consolidations stratégiques » subies les 40 dernières années révèlent aujourd’hui au grand jour leurs conséquences catastrophiques. Oui, les cadeaux fiscaux aux entreprises sur le dos de la sécurité sociale l’ont affaiblie. Et donc oui, il est temps de changer de modèle face à la faillite du système capitaliste à empêcher puis à solutionner cette crise.
Ce rôle de l’état, c’est aussi la nécessité de légiférer aujourd’hui pour empêcher le bain de sang social qui a commencé. Une récession économique qui pourrait faire bien plus mal que le virus en appauvrissant lourdement la population laborieuse. Dès à présent, le commerce de détail enchaîne les annonces de faillites, restructuration et licenciements. L’Horeca, le spectacle, le socio-culturel… ne tiendront plus longtemps. Au niveau de l’industrie, l’aéronautique est la première durement touchée. Et après ? A qui le tour ?
Nous plaidons donc pour une loi qui serait d’application tant que la crise pandémique et ses conséquences économiques ne sont pas terminées. Cette « loi unique » serait pour une fois en faveur du monde du travail et gommerait le souvenir douloureux des précédentes. Elle doit interdire purement et simplement le versement de dividendes aux actionnaires. Elle doit instaurer un moratoire sur les licenciements. Elle doit mettre fin au vol que constituent les non-paiement de la part patronale (qu’eux appellent charges) sur les salaires. Elle doit instaurer un réel impôt de solidarité, c’est-à-dire non pas un appel aux dons et à la philanthropie ou un impôt touchant indistinctement tout le monde, mais un impôt sur les grandes fortunes afin de financer les mesures non seulement de relance mais également d’aides à ceux qui souffrent le plus. Outre le relèvement des indemnités de chômage « corona » au plus proche des 100% et du gel de la dégressivité des périodes de chômage et de l’exclusion de celui-ci, il faut aussi trouver une solution pour la masse d’intérimaires, de CDD, d’étudiant·es dont les sources de revenus se sont drastiquement taries ces derniers mois. Sans ces mesures fortes nous assisterons à une paupérisation accélérée. Déjà aujourd’hui des personnes en « chômage corona » font appel de plus en plus aux aides alimentaires.
Il est donc temps de changer de cap et de faire un retour vers la solidarité pour que le monde d’après coronavirus ne soit pas pire que celui d’avant.
Françoise Bernard, Secrétaire Générale SETCa Liège
