Ce 18 mars, le quotidien L'Echo a publié une carte blanche de Françoise Bernard au sein de laquelle elle prend position sur la crise sanitaire actuelle et son impact sur la législation sociale et son application. Retrouvez ce texte dans son intégralité ci-dessous.
Le coronavirus ne vaincra pas la législation sociale
La situation vécue aujourd’hui en Belgique, et partout dans le monde avec la pandémie du Coronavirus, est exceptionnelle. Personne dans notre pays n’a déjà connu une situation similaire. Il est donc normal que des interrogations, des hésitations surviennent. Le développement rapide et exponentiel de la contamination, tout comme sa dangerosité, ne peuvent être minimisés et nécessitent évidemment des mesures sortant de l’ordinaire.
Mais sortir de l’ordinaire, ce n’est pas faire n’importe quoi. C’est certes « adapter » les règles mais cela ne doit pas être l’occasion de multiplier les situations de non-droit ni de fouler aux pieds une législation sociale mise en place pour protéger les travailleuses et travailleurs des abus aux seules fins de profits. Pour protéger ces travailleuses et travailleurs qui aujourd’hui, tout en étant inquiètes pour elles et leurs proches, assument leurs responsabilités professionnelles.
Si on parle beaucoup, et à juste titre, du personnel des hôpitaux, c’est l’ensemble du monde du travail qui est touché. Le secteur des soins de santé est certes composé de lieux collectifs mais aussi de toute une série de services à domicile qui se sont multipliés ces dernières années. Là aussi, le personnel continue à remplir son rôle et à suivre des personnes souvent fragilisées dépendant parfois totalement des différent·es aidant·es qui leur rendent visite, apportant divers soutiens qui ne se limitent pas aux soins mais intègrent notamment tout le volet de la cohésion et du lien social. Des travailleuses et travailleurs de première ligne, il y en a aussi dans toute la chaîne du secteur alimentaire. Le personnel des grandes surfaces s’inquiète à juste titre des distances de sécurité, des mesures d’hygiènes tout en étant au poste pour permettre à tout le monde de s’approvisionner. C’est aussi l’ensemble des travailleuses et des travailleurs de la logistique et de la production qui est concerné, mais pas seulement puisque les différents services administratifs continuent à assurer leurs missions essentielles. Tout comme ceux de la production d’énergie et des télécommunications… En fait, tous les services publics et au public sont impactés. Nous pourrions multiplier les exemples qui démontrent que derrière certaines figures mises en avant, ce sont tous les maillons de la chaîne sociale et économique qui continuent à assurer leurs missions avec courage et détermination.
C’est vers toutes ces personnes que vont en premier lieu nos préoccupations. A toutes ces personnes qui ne sont pas forcément rassurées par les décisions prises par des directions qui refusent de prendre les mesures de sécurité et d’hygiènes nécessaires pour des raisons financièrement à leur avantage, sans considération pour leur personnel. Toutes ces directions qui essaient de contourner les législations sociales, imposant, par exemple, la prise de congés ou ne respectant pas les règles liées au chômage économique. Redisons que ce dernier n’est pas sans coûts. Coût pour la personne concernée qui ne touchera que 70 %[1] de son salaire… mais pour un montant plafonné à 2.754,76 € brut. Coût également pour la collectivité, puisque ces allocations font partie des allocations de chômage si souvent décriées ! Et trop rares sont les entreprises à prendre en charge un complément total ou partiel de celles-ci. Comme syndicalistes, nous sommes sur le pont depuis plusieurs jours dans tous les lieux de la concertation sociale pour trouver des solutions. On ne peut regretter que de trop nombreux employeurs ne soient pas dans la même logique et continuent à ne penser qu’aux profits et à la rentabilité. A l’exemple de ceux du secteur des services aux personnes, pourtant essentiel au cœur de la crise sanitaire actuelle, et pour lequel l’ensemble des organisations syndicales a communiqué ce samedi !
Mais comme syndicalistes, nous pensons aussi à toutes les personnes qui vont être mises en difficulté si la situation devait se prolonger et que les mesures de précaution devaient s’étendre. Outre celles et ceux perdant une part plus ou moins importante de leur revenus, nous pensons également aux intérimaires, CDD, étudiant·es… qui vont carrément perdre leur travail. Des "mesures" ont été annoncées pour aider les indépendant·es, en premier ceux de l’horeca, mais tous les secteurs risquent d’être touchés. Demain, quelles aides seront apportées à toutes les personnes qui pourraient être licenciées ?
Nous plaidons donc clairement pour que le gouvernement prévoie, dès à présent, des mesures concernant les crédits et revienne sur celles de durcissement dans la législation chômage et son application, pour ne prendre que ces deux exemples. Et comment financer ? En luttant enfin efficacement contre l’évasion fiscale récupérant ainsi 172 milliards ! De quoi largement prendre des mesures pour ne pas que ce soit à nouveau les plus faibles qui paient le coût de cette crise sanitaire. Le monde du travail ne sait que trop que les discours d’Union Nationale sont surtout des discours pour endormir ses revendications tandis que les plus riches continuent comme si de rien n’était, voire accentuent leurs bénéfices. Nous serons ainsi curieux de voir l’attitude des firmes pharmaceutiques dans la crise actuelle.
Il est des plus intéressants d’observer les déclarations de celles et ceux qui, depuis 40 ans, prônent l’austérité, la réduction des dépenses dans les services publics (et plus particulièrement dans les soins de santé !), qui assèchent le financement de la sécurité sociale construisant ainsi une société individualiste basée sur la loi du plus fort… et qui, aujourd’hui, en appellent à la solidarité et au sens des responsabilités des travailleuses et travailleurs qui subissent de plein fouet, depuis des années, les conséquences des mesures d’austérité et de privatisations dans la dégradation de leurs conditions de travail !!!
Au-delà de notre vigilance et du travail de l’ensemble de nos délégué·es sur le terrain pour ne pas que les droits sociaux soient bafoués sous le couvert d’un plan d’urgence sanitaire, il est clair pour nous qu’il y aura un avant et un après cette crise. Et qu’une fois la situation rétablie, il faudra clairement changer de cap et reconstruire une société réellement basée sur la solidarité et le progrès social. Les fossoyeurs de nos services collectifs, les actionnaires qui se sont faits des fortunes sur le dos de privatisation, devront rendre des comptes.
Françoise Bernard, Secrétaire Générale SETCa Liège-Huy-Waremme
[1] Le gouvernement ayant fait un effort en passant de 65 % à 70 %.
